lundi 7 avril 2008

La perméabilité des genres

Lorsqu'il précise d'emblée « je fais de la musique folk », Raphaël plante son décor comme une banderille : ce sera la flamboyante lumière des Caraïbes contre le clair de lune à Maubeuge, le routard contre le professeur de lettres, le grand orchestre contre le bricolage post-adolescent anémique. En France, premier producteur de musique avariée, personne depuis longtemps n'avait autant que Raphaël Haroche disqualifié sa génération. Que pèsent en effet les Christophe Maé et/ou Willem, Bénabar, Damien Saez et autres moutons de Nagui, ce Panurge cathodique, au regard d'un seul refrain de Je sais que la terre est plate ? A peu près autant qu'un quintal de bovins yéyés face à un seul La Maison près de la fontaine. Et par ces guitares sonnantes que l'on croirait sorties, encore ruisselantes, du Hunky Dory de Bowie, on se plaît déjà à entendre sonner la mise à mort d'un vieux doute : certains, ici, renouent de plain-pied avec l'audace et l'ambition. En quittant le carré confortable de sa Caravane, Raphaël fut donc attiré par des étoiles incertaines : la musique des Caraïbes, les sons des Balkans, mirages scintillants dont il est l'un des rares à livrer une lecture acceptable en les faisant venir à lui plus qu'il ne va à eux.
« Je m'imaginais qu'elle venait du ghetto »

« J'ai une fascination depuis toujours pour Haïti, les rites vaudous, etc. J'ai été très marqué, petit, par un film de Wes Craven : L'Emprise des ténèbres. Plus tard, j'ai aimé la façon dont Wyclef Jean (des Fugees, NDLR) faisait chanter le français comme de l'anglais. Et j'ai été frappé par un livre d'Edwige Danticat, Le Briseur de rosée ». « Le premier axe de mon album, c'était donc les Caraïbes, poursuit-il. D'où le duo Adieu Haïti avec Frederick Toots Hibbert (de Toots ' the Maytals). Et puis, j'ai passé du temps à Prague. J'avais acheté une guitare du début du XXe siècle et je m'imaginais qu'elle venait du ghetto. La quête de mes origines est soudain devenue une évidence. Le côté slave est remonté. Le morceau tsigane Le Vent de l'hiver est arrivé lors d'une fin de soirée. » Le secret de Je sais que la terre est plate repose sûrement sur cette perméabilité des genres assumée par son auteur. En choisissant Tony Visconti et Renaud Létang, deux réalisateurs qui ne se paluchent pas sur la sacro-sainte et pitoyable crédibilité rock, le Raphaël nomade du troisième album savait qu'il exposait ses chansons à un trop-plein d'influences, qu'il lui faudrait jouer des coudes pour trouver une place entre la technique et les multiples musiciens invités - entre autres Carlos Alomar, Tony Allen, Gail Ann Dorsey, Mino Cinelu, Steve Nieve, Stephan Eicher... Là s'est avérée utile son expérience : faire que rien, pas un artifice en trop, ne distance le chanteur de l'immensité qui l'entoure. Les arrangements fastueux comme les samplings désinvoltes lui collent tour à tour à la peau comme l'habit du voyageur, figure tutélaire qui traverse le disque. Une écoute ininterrompue de l'album permet de mieux saisir la troublante singularité de la musique de Raphaël : faite d'une pièce, imperméable à l'air du temps, elle ressemble à ces livres que chaque lecture éclaire d'un jour nouveau, comme s'ils s'écrivaient encore à mesure qu'on apprend à les aimer.

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